2013
(Prix Beaumarchais, Éditions des Lettres persanes, 2008)
Texte de Mahmoud Shahali, en collaboration avec Claire-Lise Charbonnier
d’après l’œuvre de Hakim Abolghâssem Ferdowsi Toussii
Mise en scène Mahmoud Shahali
Musique : Christine Kotschi
assistée de Christophe Souron
Espace scénique et accessoires : Erik Nussbicker
Direction technique et lumières : Thierry Ottinger
Relations publiques : Danou Bion
Version vidéo :
Réalisation : Mahnaz
Caméras : Emilie Pouzet, Quentin Aurat, Mahnaz
Photos, assistanat au montage : Mehrdad
Production : Persview
Avec Olivier Baucheron, Ekatarina Dobrinova, Hervé Dubois, Jean-François Erlichman, Xavier-Valéry Gauthier, Catherine Kopciowski, Daniela Labbé Cabrera, Aymeric Pol, Serge Poncelet, Marc-Olivier Sephiha, Thierry Truyens, Omar Yami
« Ne vois en ceci ni fables ni mensonges,
Mais énigmes et mystères ;
L’intelligence seule t’en donnera les clefs… »
Tout peuple a su élaborer, au cours de son existence, des récits à travers lesquels s’affirmer, préserver ses traditions et coutumes, transmettre son savoir et ses croyances, créer son identité propre et projeter sa vision du monde.
Ces récits, fables, légendes, épopées, sont des piliers indispensables sur lesquels un peuple bâtit sa culture, s’affirme en tant que civilisation, en tant que nation. Mais rares sont, parmi ces récits, ceux qui se sont épanouis non seulement au sein même des communautés qui les ont créés, mais dans l’ensemble de la civilisation humaine.
Aussi, rares sont les génies qui, par la force de leur art, par l’universalité de leur vision du monde et de l’homme, sont parvenus à faire de ces récits des trésors spirituels, philosophiques et artistiques. Pulvérisant les tracés géographiques, transcendant toute frontière dans le temps et dans l’espace, ils n’appartiennent plus désormais à une tribu, un clan, une nation, mais à l’univers.
Shâhnâmeh, l’épopée nationale persane, est l’un de ces trésors et Ferdowsi (932 à 942 – 1020 à 1025), l’un de ces génies.
Shâhnâmeh, incroyablement et injustement méconnu du grand public occidental, reste néanmoins l’une des épopées les plus vivantes de notre temps. Des rivages de l’Oxus jusqu’à Bombay, des pieds de l’Hindû-Kûsh jusqu’au Tigre et à l’Euphrate, des millions d’hommes et de femmes s’identifient aux personnages du Shâhnâmeh, en vénèrent les héros, haïssent les méchants, pleurent les morts et saluent les amours.
Certains récits du Shâhnâmeh viennent des âges les plus reculés du peuple indo-iranien ; les premières traces écrites figurent déjà dans l’Avesta, livre sacré des zoroastriens. Dans l’Histoire de Bokhârâ (943 à 948), Abobakr Mohammad-ibn-é-Djafar-é-Narshakhi rapporte qu’à Bokhârâ et dans ses provinces, existe depuis trois mille ans une sorte de cérémonie funéraire très populaire en hommage à Siâvosh et à sa mort.
Ferdowsi consacra trente années de sa vie à rassembler et à rédiger ces histoires, transmises jusqu’alors par la tradition orale ou écrite ; son génie créateur a fait le reste. Comme il le dit si bien lui-même :
« Durant trente années, que de souffrances
Pour que de ces vers renaisse le peuple Perse… »
Shâhnâmeh contient cent mille vers de onze syllabes (cinquante mille distiques). Il conte l’histoire de l’univers, de sa création jusqu’à la défaite des Sassaniâns devant l’invasion arabe (642). Une analyse sommaire distingue dans le poème de Ferdowsi trois épisodes :
L’originalité du Shâhnâmeh se trouve dans les pensées qu’il projette. Il y a là des passions, bonnes ou mauvaises, mais toujours à l’état brut. Elles propulsent les personnages afin qu’ils agissent. L’énigme est l’homme et son choix la clef. Par ce dépouillement, le Shâhnâmeh dépasse grandement les interrogations de l’homme d’un quelconque pays ou d’une quelconque condition sociale, ce sont celles de l’homme universel, l’homme de jadis et l’homme d’aujourd’hui, l’homme de toujours et de partout. Zahhâk vend son âme à Ahriman. Or, Faustus en fait de même dans une autre culture.
Le crime premier du même Zahhâk n’est-il pas motivé par la même passion que celle d’un Macbeth ? Farânak, fuyant la horde des assassins, ne sauve-t-elle pas son enfant comme Marie dans la Bible ? Le récit de Fereydoun, partageant son royaume entre ses enfants, ne nous rappelle-t-il pas un certain Roi Lear ? Dans l’acte accompli, Macbeth n’est certainement pas plus écossais que Zahhâk n’est perse ou bien Faustus germain.
Le Shâhnâmeh est sans doute aussi une des épopées les plus humaines : ses héros ne sont ni des dieux ni des êtres victimes de volontés ou de caprices des dieux. Certes, le destin agit sur ces hommes et ces femmes ; mais là aussi Ferdowsi, en grand poète qu’il est, sait façonner ses héros en hommes libres, maîtres de leurs choix ; rejoindre le royaume des dieux : la lumière, ou le royaume des démons : les ténèbres.
Shâhnâmeh-é-Abolghâssem-é-Mansur ébn-é Hassan-é-Ferdowsi fut écrit à la louange de l’intelligence. Désormais il restera jusqu’à la fin des temps ce cri de l’homme libre qui se demande : Qui il est ? D’où il vient ? Où il va ?
Mahmoud Shahali